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Michel TOUPET, Christian VAN NECHEL
Comme on l’a vu, les principaux symptômes présentés sont les troubles de l’équilibre, l’instabilité visuelle chronique avec les oscillopsies, et l’altération du sens de l’orientation. L’instabilité est majorée dans la pénombre et l’obscurité, sur terrain difficile, caillouteux, pentu, instable ou tortueux, enneigé, glissant, mouillé.
Il n’y a pas de signe auditif (ni surdité, ni acouphène, ni plénitude d’oreille), ni céphalées, ni signes neurovégétatifs. Il n’y a pas non plus de vertiges au sens habituel. Dans un vertige, une personne croit que les objets environnants et elle-même sont animés d'un mouvement, linéaire, circulaire ou d'oscillations. Le vertige est donc une illusion de mouvement (comme une tornade). Question de degré. En cas de VBI, il peut y avoir des crises de vertige lors de l’installation de la maladie, mais à l’état stabilisé, chronique, il n’y a plutôt plus de vertiges, plus de signes rotatoires, car les deux vestibules sont atteints, sans asymétrie. En revanche, il persiste une instabilité visuelle : le patient voit flou quand il bouge et titube quand il marche ; ces symptômes sont permanents, alors qu’un vertige ne dure qu’un temps.
En raison de ces symptômes, les médecins consultés pensent plutôt à un problème neurologique qu’à une pathologie responsable de vertiges, ce qui explique l’errance et le retard diagnostic en moyenne de 2 à 5 ans. Il n’est en effet pas facile d’imaginer, dans l’inconscient médical collectif, qu’un déficit vestibulaire puisse ne pas donner de vertiges. L’important pour le médecin généraliste ou l’ORL lors de la première consultation est de penser à une pathologie de l’oreille interne même en l’absence de troubles de l’audition, de penser à une atteinte vestibulaire devant un ensemble d’instabilité et d’oscillopsies, ces deux éléments étant pathognomoniques de l’affection (certitude diagnostique de déficit vestibulaire).
Avant de réaliser des mesures instrumentales, le diagnostic est d’abord clinique. Il se fonde sur la coexistence des symptômes mentionnés ci-dessus avec cette particularité que le trouble de l’équilibre résultant d’un déficit vestibulaire bilatéral est persistant et nettement accentué dans l’obscurité. La grande difficulté à se maintenir en équilibre sur un sol irrégulier dans la pénombre est systématiquement présente en cas de déficit vestibulaire bilatéral et ce symptôme doit conduire au bilan vestibulaire.
Ne pas confondre un déficit vestibulaire unilatéral (un handicap transitoire) et un déficit vestibulaire bilatéral (un handicap permanent). Un déficit vestibulaire unilatéral induit également une instabilité plus marquée dans la pénombre, mais la persistance d’une information vestibulaire du côté sain et sa participation au développement de la compensation du déficit aboutit à une réduction importante de cette instabilité le plus souvent en quelques jours ou quelques semaines. En revanche, en présence d’un déficit vestibulaire bilatéral, la compensation fait appel à la substitution d’informations par les autres modalités sensorielles de l’équilibration, processus plus lent et qui n’offre pas les mêmes performances de réactivité. Les oscillopsies présentes dans les déficits vestibulaires unilatéraux sont en général seulement perçues lors des mouvements de tête vers le côté déficitaire. En phase aiguë après un déficit unilatéral, la marche est instable mais clairement déviée vers le côté atteint. En cas de déficits vestibulaires unilatéraux tout est transitoire. |
L’interrogatoire recherche des éléments en rapport avec la cause éventuelle du déficit vestibulaire bilatéral comme la prise de gentamicine (antibiotique aminosidique) pour des infections résistantes aux autres antibiotiques, ou des signes neurologiques en cas d’atteinte des structures du tronc cérébral voisines des voies vestibulaires : diplopie (dédoublement de l’image en vision binoculaire), altération des mouvements précis avec les mains, altération de la sensibilité au niveau du visage ou des membres.
L’examen clinique de base comporte au moins des épreuves de marche, d’équilibration et d’évaluation de la stabilité du regard lorsque la tête est en mouvement :
La symptomatologie caractéristique et l’ensemble des deux tests de Romberg et de Halmagyi font le diagnostic du clinicien.
Le médecin constatera que l’équilibre est perturbé dès la fermeture des yeux et que lors des mouvements de tête brefs et secs les deux yeux partent avec la tête.
Trois tests permettent d’affirmer le diagnostic de déficit vestibulaire bilatéral : le « Video Head Impulse Test » ou VHIT, l’épreuve vestibulaire calorique et l’épreuve vestibulaire rotatoire.
Ce test consiste à enregistrer les déplacements oculaires pendant de brèves rotations de tête induites par l’examinateur à des vitesses de 50 à 300°/seconde. Ces vitesses permettent de jauger les structures impliquées aux limites de leurs performances. En condition parfaite, la vitesse de rotation des yeux doit être équivalente, mais de direction opposée, à celle de la tête. Ces vitesses sont quantifiées par l’analyse vidéo des mouvements oculaires enregistrés par une caméra infrarouge intégrée dans un masque avec un accéléromètre.
Ce test évalue les hautes fréquences du système vestibulaire et la stabilisation des yeux par les réflexes vestibulo-oculaires (RVO), et ce pour chaque canal semi-circulaire de chaque oreille. En effet, cette mesure peut être réalisée dans les trois plans : l’horizontale et les deux obliques ; ce qui correspond aux trois plans des paires de canaux semi-circulaires des deux oreilles internes.
Normalement les yeux restent en place, fixant la cible visuelle, quels que soient les mouvements de la tête.
En cas de déficit vestibulaire bilatéral, les yeux partent avec le mouvement de la tête et reviennent sur la cible visuelle une fraction de seconde plus tard.
C’est un enregistrement chiffré du test de Halmagyi.
Elle se pratique sur un patient allongé, tête relevée de 30°. L’irrigation d’une température différente (30°C et 44°C) créée des mouvements liquidiens dans les canaux semi-circulaires externes, placés dans le plan vertical. Ce test permet d’évaluer un côté puis l’autre séparément. Il déclenche normalement un petit vertige et des nystagmus observables sous lunettes de vidéo. On teste ainsi les basses fréquences du système vestibulaire. On enregistre et chiffre les réponses nystagmiques.
Elle s’effectue sur un patient assis portant des lunettes de vidéonystagmographie (VNG) donc dans l’obscurité. La VNG enregistre, via une caméra infrarouge incluse dans un masque, les mouvements des yeux spontanés, induits par une stimulation simultanée des deux labyrinthes.
Cet enregistrement permet par une analyse informatique, une quantification de la vitesse et de l’amplitude des mouvements oculaires en présence ou non de stimulations extérieures. On fait osciller latéralement le fauteuil d’une amplitude de 90° et on déclenche des nystagmus observables, enregistrables, mesurables.
En cas de déficit vestibulaire, le patient ne perçoit même pas le déplacement du fauteuil, il n’y a pas non plus de réponse oculaire.
Ce test étudie les fréquences moyennes du système vestibulaire.
Les tests qui permettent d’affirmer le déficit vestibulaire bilatéral sont : les épreuves caloriques et l’épreuve rotatoire sans réponse oculaire ainsi que les mouvements brusques de la tête que l’œil ne corrige pas.
Une fois le diagnostic de déficit vestibulaire bilatéral confirmé, il convient ensuite d’orienter le patient vers un spécialiste ORL bien informé de ces pathologies et bien équipé pour pouvoir réaliser les mesures instrumentales complémentaires.
Ils permettent d’explorer d’autres composantes du système vestibulaires, celles des organes otolithiques qui analysent les mouvements linéaires.
Le saccule est surtout sensible aux déplacements verticaux dont la permanence de la gravitation terrestre. Lorsqu’on est éveillé, le saccule permet le redressement du corps, et tout particulièrement de la tête. Pour mesurer ce réflexe, on place des électrodes sur les muscles du cou. On stimule le saccule par des petits clics acoustiques et on mesure les modulations de l’activité musculaire du cou.
L’utricule est organisé comme une rose des vents de nos déplacements linéaires dans le plan horizontal plus particulièrement.
Deux électrodes placées sous chacun des deux yeux permettent d’enregistrer les modifications de la contraction de ses muscles oculomoteurs pendant des stimulations utriculaires d’origine acoustique. Ces deux potentiels évoqués otolithiques permettent un renseignement précis sur chacun des deux organes séparément et de chacun des deux côtés.
Elle évalue la résolution de l’image perçue lorsque la tête est animée de mouvements rapides. Il ne s’agit plus ici seulement d’explorer la stabilisation de l’œil dans l’orbite lors d’un mouvement de tête mais tout le processus de reconnaissance de l’image, dont un prérequis est sa stabilisation pendant un temps suffisant pour permettre l’identification de son contenu. En complément du VHIT, qui montre comment les yeux bougent, ce test explore ce que le cerveau voit.
Le sujet examiné porte un casque qui analyse le mouvement de la tête, et doit identifier sur un écran les symboles habituels des chartes d’acuité visuelle.
Ces symboles n’apparaissent toutefois que lorsque la vitesse de la tête dans un plan dépasse un seuil prédéterminé par l’examinateur.
L’acuité visuelle mesurée dans ces conditions est comparée à l’acuité visuelle tête fixe pour une durée similaire de présentation du stimulus. Cette mesure, en relation avec le symptôme d’oscillopsie, peut être réalisée dans différents plans de mouvement de la tête.
Elle est plus exigeante que le test d’impulsion de tête car impose une stabilisation de l’œil pendant un temps suffisant pour l’identification du symbole, la projection la cible visuelle sur la partie la plus sensible de la rétine, l’absence de retard de la réponse oculaire au mouvement tête et requiert l’attention du sujet.
L’acuité visuelle dynamique montre une bonne sensibilité dans l’identification des déficits canalaires uni ou bilatéraux.
La capacité de stabiliser l’image après un déficit vestibulaire peut être améliorée par l’entraînement.
Ce n’est que très fortuitement que l’axe vertical de la tête se retrouve parallèle à l’axe gravitaire. Les images qui se projettent le plus souvent sur notre rétine sont donc similaires à des photos prises avec un appareil non horizontal. L'angle d'inclinaison latérale de la tête peut dépasser largement les quelques possibles degrés de rotation des yeux autour de leur axe optique. Un redressement de l’image rétinienne est requis pour rendre son contenu stable et cohérent avec d’autres sensations, en dépit d’inclinaisons variables de la tête.
Cette orientation correcte de l'image rétinienne relève d'un traitement cortical qui exploite une combinaison d’informations issues des canaux semi-circulaires et des organes otolithiques des oreilles internes. Il actualise en permanence notre représentation de l'axe gravitaire : la verticale visuelle subjective. La mesure de la verticale visuelle subjective d’un sujet est réalisée par l’alignement d’un repère visuel linéaire avec sa notion de verticale, en l’absence de toute autre information visuelle susceptible de lui fournir une référence horizontale ou verticale. Dans ces conditions, l’écart entre cette verticale visuelle subjective et l’axe gravitaire ne dépasse pas 2,8° chez le sujet sain.
Des informations non-vestibulaires contribuent à cette représentation mentale de la verticale, dont la présence au sein même de l'image d'éléments que nous avons appris à considérer comme de fiables références de verticalité ou d'horizontalité. Un poids dominant est attribué à l'information sensorielle estimée la plus fiable. A ce titre, vision et appareil vestibulaire sont en compétition, la première insensible aux accélérations linéaires, telles qu’induites par les déplacements, qui vont interférer avec la perception de l'axe gravitaire par le second. Celui-ci est plus apte à nous donner une information fiable de l'axe gravitaire lorsque la première ne contient pas suffisamment de références verticales ou horizontales. En présence d'un cadre incliné ou d’un fond structuré tournant à l’arrière du repère visuel linéaire mesurant la verticale visuelle subjective, certaines personnes donneront priorité à l’information fournie par l’appareil vestibulaire, elles seront qualifiées de « non-dépendantes visuelles », d’autres, les « dépendantes visuelles » verront l’orientation de leur verticale subjective influencée par le contenu du champ visuel.
La posture est l'organisation dans l’espace des différents segments du corps. Il n'y a pas une posture optimale applicable à toute personne, pas même pour se tenir dans cette position très artificielle du sujet debout immobile talons joints sur un support parfaitement plan et stable. La bonne posture est celle qui permet à une personne, avec sa morphologie, ses capacités physiques, ses émotions, son désir d'expression de préparer ou de prolonger, l’action (ou l'inaction) souhaitée avec le meilleur compromis entre efficacité d’une part, contraintes musculaires et articulaires, et dépenses énergétiques d’autre part. Il y a de nombreuses façons de se tenir debout dans un transport en commun. Plusieurs sont d'efficacité équivalente, d'autres vont réduire la tolérance aux variations d'accélération. Plus l’action envisagée devra être performante, plus le choix de stratégie va se rétrécir.
La posturographie multisensorielle est une méthode de quantification du contrôle postural ; elle chiffre l’instabilité ainsi que ses suppléances sensorielles possibles, proprioceptives et visuelles, avec de nombreux paramètres et exercices physiques.
Les postures dynamiques les plus souvent utilisées impliquent la mobilisation d’un support de sustentation, asservis ou non aux déplacements du centre de pression.
Il en est de même pour les bascules ou translations imprévisibles du support, et concerne aussi les altérations de l’environnement visuel par mouvement du décor, stimulation optocinétique ou décor virtuel.
La technologie des systèmes à capteurs de pression enregistre l’intensité et la direction des forces exercées par les plantes des pieds sur le support de sustentation. Ces forces sont donc très différentes lorsque le support résiste aux forces exercées par les pieds ou lorsqu’il se dérobe sous l’action de celle-ci. Le centre de pression est la résultante virtuelle de toutes ces forces. Les déplacements de celui-ci sont donc davantage le reflet du travail musculaire associé au contrôle postural, qu’une mesure de la qualité de celui-ci.
La posturographie a toute sa place dans la rééducation des troubles de l’équilibre. Non seulement elle peut orienter la prise en charge en rééducation, mais aussi constituer le support d’exercices de rééducation dont les résultats sont quantifiables. Elle pourra identifier et reproduire à titre d’entraînement des conflits sensoriels qui posent problème au patient. Elle donne aussi accès à l'utilisation du biofeedback pour la rééducation des troubles de l'équilibre. Elle ajoute une modalité sensorielle, visuelle ou auditive, aux sensations somesthésiques et vestibulaires associées au contrôle postural. Cet apport sensoriel supplémentaire peut faciliter l’élaboration d’une réponse motrice adéquate. Elle permet au patient, via un flux continu d'informations et une quantification de ses performances, de mieux percevoir ses capacités actuelles et ses progrès par rapport à un objectif, ce qui constitue un indiscutable stimulant psychologique.
Un bilan du patient atteint de VBI Le bilan de gravité et des capacités du patient sur le plan visuel et postural est crucial pour suivre l’évolution du patient. Cela s’entend d’une part dans l’évolution de son déficit vestibulaire qui peut être parcellaire puis devenir plus complet ; mais aussi dans l’évolution de ses suppléances sensorielles qui lui permettent d’y faire face plus confortablement. Ces outils permettront d’apprécier l’effet d’une éventuelle thérapeutique médicamenteuse sur la maladie et sur les causes de ce déficit vestibulaire bilatéral, tout autant que sur les diverses compensations centrales. Au-delà de cet aspect technique ce bilan permet aussi d’approcher le vécu du patient à travers l’analyse de ses perceptions sensorielles, de sa qualité de vie, de son anxiété, voire de sa dépression, qui influent sur ses capacités. |
Les déficits vestibulaires bilatéraux idiopathiques doivent être confirmés par des tests objectifs :
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